Samedi 12
La météo annonce encore du vent de sud (donc contraire)
assez fort. Pas envie d'aller contre la mer ! Nous restons donc
là aujourd'hui. Bricolage, un joint de la vitre du carré
fuit. Jean Paul est allé acheter du silicone à
la seule quincaillerie du coin, à plus d'un kilomètre.
Nous avons copieusement arrosé l'endroit pour trouver
la fuite et tandis qu'il répare, je range l'équipet
que j'ai vidé pour sécher ce qui a été
mouillé.
L'après-midi, sous le taud, avec ce petit vent rafraîchissant,
c'est cool, lire, écouter de la musique, découper
des recettes (Steph m'a donné toute une pile de magazines
de cuisine) ou tout simplement ne rien faire en laissant l'esprit
vagabonder.
Mais ce soir, le ciel se couvre de gros nuages lourds, le vent
souffle de plus en plus, les rafales atteignent la force 6 et
l'atmosphère est poisseuse. A l'abri, ce n'est pas grave
! Nous écoutons la radio, le match des bleus de 98 contre
une sélection internationale.
Dimanche 13
Ce matin, je me réveille avec un an de plus, sous un
ciel plombé, sans un souffle de vent. Tout est moite
et gris dehors. A 9 heures, nous partons tandis qu'un tout petit
coin de bleu apparaît au-dessus de nous. Le soleil pâle
nimbe le port d'une lumière un peu irréelle, comme
un projecteur braqué sur la piste d'un cirque, alors
que tout, autour, reste sombre. En mer, une houle paresseuse
soulève Cap Sounion en une incessante berceuse. La surface
mouvante de cette masse d'eau huileuse, à peine ridée
par un semblant de brise, se gonfle et se dégonfle au
gré d'un reste de vagues aplanies, dernières survivantes
du vent d'hier.
Vers 10 heures, c'est avec plaisir qu'on sent sur la peau, la
caresse fraîche d'un souffle d'air qui se lève,
chiffonnant la mer de ridelettes frémissantes et qui
permet bientôt de hisser les voiles. Je vais chercher
mon baladeur et j'écoute les
chansons du CD "Pêle-mêle".
Plus tard, nous pique-niquons sans cesser d'avancer, le vent
tient bon. Mais l'étape est vraiment longue, 35 milles
et le temps est lourd. Nous arrivons à 17 heures à
Solenzara. Le port est merveilleusement calme, les reflets des
mâts ondulent dans l'eau en un ballet silencieux…
L'ombre du taud est bienvenue !
C'était trop beau ce silence ! Ce soir le port est arrosé
d'une tonitruante musique techno qui prend la tête. Il
n'est que 23 heures et ça va encore durer des heures…
Et moi j'essaie de ré-accorder ma guitare après
avoir cassé la corde de ré ! Pas facile de se
concentrer sur l'écoute avec ce boucan ! Il s'arrête
quand, le tintamarre ? Pendant le feu d'artifice tiré
juste au dessus de nous, et plutôt joli, ça se
calme enfin, pour repartir de plus belle juste après…
jusqu'à 5 heures moins 20, ça a duré, à
fond… avec des séquences jusqu'à une heure
sur les mêmes trois ou quatre notes. Infernal ! Je ne
devrais pas parler de musique mais plutôt de bruit. La
musique, elle est venue après, quand le silence s'est
installé et qu'on n'entendait plus rien qu'un souffle
de vent sur l'eau.
Lundi 14
Souffle de vent, disais-je ? Qui atteindra les 50 nœuds
à 5 heures du matin. Alors que je venais de m'endormir
-enfin- je ressors pour démonter le taud qui claque violemment
dans les bourrasques. Quelle nuit ! Ce matin, Jean Paul n'a
plus qu'une chaussure, l'autre s'est envolée dans le
coup de vent, il les avait laissées sur le pont. C'est
la première fois qu'une chose pareille nous arrive.
Le soleil que j'ai photographié à son lever à
6 heures du matin ( et oui, je n'étais plus à
5 minutes près pour dormir), nous écrase maintenant
de son ardeur. Il n'y a plus la moindre brise, en attendant
sans doute d'autres rafales annoncées par la météo.
Drôle de temps, cette année ! Beaucoup trop de
vent fort pour la région et l'époque !
A 14 h 30, nous sortons du port, direction Porto-Vecchio ! Le
long du littoral, la mer a revêtu sa parure d'été,
un beau bleu-vert constellé d'étoiles de soleil…
Mais de longs cirrus tapissent le ciel peu à peu, ce
qui ne laisse présager rien de bon pour la suite. Il
est vrai que de l'autre côté de la Corse, actuellement
se développe un coup de vent de force 7 à 8, rafales
à 9. Tant que nous restons près de la côte,
nous sommes relativement à l'abri, car les bourrasques
qui franchissent la montagne n'ont pas assez d'aire à
courir pour lever la mer. Pour l'instant, curieusement , nous
sommes soumis à une brise de sud-est assez fraîche
et complètement protégés du vent d'ouest
qui sévit sur la côte occidentale. Mais cela ne
dure pas, le vent tourne brusquement sud-ouest, un bon force
8 qui arrache l'eau à la surface et nous trempe à
grandes claques d'eau, gîtant le bateau beaucoup trop
à notre gré. Pourtant, moi j'aime quand ça
gîte, et qu'on est bien calé dans le creux, mais
là, ça devient intenable ! Rien de tout cela n'était
prévu par la météo. Pas la peine de l'écouter
plusieurs fois par jour et de la regarder dans les capitaineries
! En deux temps, trois mouvements, j'affale la grand voile qui
se défend rudement, je me cramponne aux garcettes de
ris, plaque la toile sous moi et réussis à la
ficeler à la "va-comme-je-te-pousse", sur la
bôme. Dans ces moments-là, il vaut mieux ne pas
trop se poser de questions, garder toujours une main pour s'assurer,
un point d'appui pour se retenir… Faire corps avec le
mât, la bôme, ou marcher à quatre pattes
pour éviter qu'une vague ne vous envie directement à
la mer. Aussitôt le bateau soulagé de sa voilure,
il retrouve une assiette plus normale et sous les rafales à
50 nœuds (force 10), nous allons nous ancrer près
de la côte… à l'abri des vagues à
défaut d'être à l'abri du vent. Il ne nous
reste plus qu'à nous changer et à nous dessaler
!
Deux heures plus tard, nous levons l'ancre pour gagner la toute
proche baie de Pinarellu en principe mieux protégée
et que borde une plage de sable plantée de pins…
Même pas une heure après, le vent tourne…
Les vagues entrent au galop dans le mouillage. Cap Sounion se
transforme en bouchon ballotté par les flots. Décidément
! Si nous restons là, inutile d'essayer de fermer l'œil
cette nuit ! A 20 heures nous relevons l'ancre et filons vers
Porto-Vecchio. Il faut sortir avec les vagues à contre
et les embruns, mais la pointe doublée, nous les avons
par l'arrière. Au moins, nous ne serons plus mouillés.
Trente minutes plus loin, le vent tourne encore. Nous l'avons
de nouveau dans le nez à 21 nœuds. Cette étape
de 19 milles aurait pu ne durer que quatre heures. Partis à
14 heures, nous entrons finalement à Porto-Vecchio, affamés,
à 22 heures. Il fait nuit noire ! Toute la ville est
en fête, musique, foule dans les rues, superbe feu d'artifice
sur le port, suivi d'un concert de cornes de brume actionnées
par les nombreux plaisanciers qui regardent depuis leur bateau…
Le 14 juillet, quoi !!!
Mardi 15
Le port de Porto-Vecchio est comme dans mes souvenirs très
bruyant. Peuplé d'énormes yachts, il résonne
de bruits de moteur, on est loin du calme des ports précédents.
Nous allons faire quelques provisions de vivres frais et finalement
décidons de rester là aujourd'hui, le vent et
la mer étant encore contraires… Il y a des moutons
jusqu'au fond du golfe, près de la plage. On verra demain.
L'ombre du taud et le petit vent frais sont parfaits pour un
après-midi relax !
Ce soir, le calme règne sur le port,
il n'y a plus de vent, les gens s'occupent sur les pontons,
bavardent paisiblement dans les cockpits, Jean Paul lit et moi
je joue de la guitare en sourdine, cordes étouffées,
pour ne pas déranger les voisins. Ensuite, je bouquinerai
pendant le reste de la soirée.
Mercredi 16
Nous quittons Porto-Vecchio à 13 h 15. De larges bandes
de cirrus blanchissent le ciel. Cette fois encore, le vent est
contraire. Il ne lève pas la mer, nous longeons les îles
cerbicales, seulement peuplées de rats. Notre objectif
pour ce soir est d'atteindre les îles Lavezzi, de gros
cailloux posés sur la mer et qui offrent quelques jolis
mouillages. Ce sera notre dernière étape corse,
ensuite, nous entrerons dans les eaux sardes. Cette croisière,
nous l'avons faite à six en 1992, avec Yves et Sylvie,
un couple d'amis et nos garçons alors âgés
de 17 et 13 ans. Partis comme cette année, de San Vincenzo,
nous avions suivi la même route obligatoirement, la côte
orientale de Corse ne proposant que trois ports entre Bastia
et le sud de l'île pour une distance de 80 milles environ.
Nous étions donc six sur notre Cap Sounion avec les coffres
pleins à craquer de nourriture et une petite tente qu'Yves
et Sylvie montaient chaque soir, sur une plage près de
laquelle le voilier était ancré. Il est même
arrivés qu'ils dorment dans le cockpit quand le camping
était impossible. Douze bras pour porter les provisions,
mais six bouches pour les manger… Soirées-guitare,
soirées-crêpes et bain nocturne pour se rafraîchir
après la chaleur du camping-gaz, petits plats concoctés
avec entrain… Une bonne équipe !
[Pour plus de détails,
voir le carnet de voyage de 1992]
Après 3 h 30 de navigation, nous approchons
des Lavezzi. Avec le vent qui a forci peu à peu -on est
maintenant à 22 nœuds- et la houle qui en découle,
il est évident que mouiller ici sera intenable.
Nous n'avons plus qu'à filer tout droit jusqu'en Sardaigne,
pour trouver un abri convenable. Décidément le
temps est très fantasque cette année et pire,
la météo marine s'avère incapable d'une
prévision correcte. Malgré le vent qui maintenant
souffle bien, la mer reste peu agitée et on ne tape pas
dans les vagues. Mais où sont ses belles couleurs ? Gris
pétrole elle est, sous un ciel gris brouillon…
Avec un peu de bleu loin derrière nous, bien trop loin
! Voilà enfin le mouillage : Porto Pozzo, une eau bleue,
des rives plantées de pins odorants, un grand silence,
et une fois le vent tombé, une eau plate sans vagues.
Le bateau ne bouge pas du tout sous la lune pleine.
Jeudi 17
Après une matinée tranquille dans ce mouillage
paisible -j'ai même pu cuisiner du veau au fenouil et
tomates, sans craindre de voir le contenu de la poêle
déborder au passage d'une vague- nous relevons l'ancre
à 14 heures. Nous naviguons au nord de la Sardaigne entre
la côte et les îlots de la Maddalena, ce qui nous
garantit une mer peu formée, malgré le vent qui
souffle à 20 nœuds. De trois-quart arrière,
celui-ci nous pousse allègrement en longues glissades
sur la crête des vagues. Le ciel et la mer à l'unisson,
uniformément gris, nous évitent de chercher l'ombre
de la voile. Il fait bon avec ce vent tiède de sud-ouest.
Nous nous faufilons entre les terres, cela change de l'immensité
marine. Sur 360 degrés, le regard rencontre un rivage,
parfois très proche avec ici ou là, une passe
étroite permettant de gagner le large. Le ciel a fini
par se découvrir partiellement, laissant percer le soleil.
Nous surfons sur cette mer toute plate, bien que couverte de
moutons, avec par moments les voiles en ciseaux quand le cap
à suivre le permet. S'il y a un paradis de la voile,
il est ici aujourd'hui. Changement de cap, senteurs chaudes
de résineux, vent de travers, le bateau gîté,
plat-bord à 20 cm de l'eau, et ça file à
plus de 6 nœuds, c'est très rare, d'ordinaire 5
à 5,2 nœuds, c'est déjà beau !
Nous entrons dans le petit port de Cannigione. Le vent qui dévale
la montagne souffle maintenant à 30 nœuds dans les
rafales.
Vendredi 18
L'autre jour, j'ai trouvé quelques fleurs de jasmin blanc
délicieusement odorantes. J'en ai fait un petit bouquet
pour égayer le bateau. Dès qu'on sort en mer,
je le cale dans un coin, et je le ressors à l'arrivée.
Tout l'intérieur en est embaumé.
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