Dimanche 31 juillet
Sur le matin, nous avons enfin pu dormir un peu. Après
avoir subi le bruit de la boîte de nuit voisine et les
gens hurlant comme des fous devant la porte, après avoir
fermé le toit sous l'orage, après l'avoir réouvert
après l'averse car il faisait trop chaud sans air, après
l'avoir refermé, rouvert... le calme a fini par s'établir
en fin de nuit.
Nous quittons Pag à 10 heures, en direction du sud, en
espérant que le renseignement qu'on nous a donné,
à savoir qu'on peut passer sous un grand pont pour contourner
Pag, puis Vir, est bon. En tout cas, dans notre guide nautique,
pas la moindre info à ce sujet. Nous poursuivons donc
notre route dans le canal Velebitski toujours bordé de
collines désertiques, côté Pag. Mais que
peuvent bien manger ces deux moutons, qui nous regardent passer,
perchés sur un rocher ?
Bien sûr, comme tous les jours, nous avons le vent de
face et nous devons naviguer au moteur et grand-voile (celle-ci
ne servant qu'à stabiliser le bateau et à faire
de l'ombre). Heureusement la mer est parfaitement calme. C'est
déjà bien. La sonde indique 22 degrés dans
l'eau, ce qui d'ailleurs nous importe peu, car nous ne nous
baignons pas. Il faut une chaleur torride pour que j'aie envie
de descendre dans l'eau dix minutes, or on est loin du compte.
Trente degrés dans la cabine fermée, à
midi, en pleine mer quand le vent est complètement tombé,
cela fait quelques degrés de moins dehors à l'ombre
de la voile. La baignade ne me manque pas cependant. Même
les autres années, quand il fait très chaud, quatre
à cinq trempettes dans le mois sont un grand maximum
!
Après la pause-déjeuner dans un mouillage transparent,
un léger zéphyr s'étant levé sur
l'arrière, nous coupons enfin le moteur et tentons d'avancer
voiles en ciseaux. Nous sommes loin de la performance : 1,9
noeuds, puis bientôt 0,9... alors que notre vitesse normale
est de 5 noeuds ! Mais Cap Sounion, parfaitement à plat,
glisse sans bruit et je peux me déplacer à bord
et même rentrer dans la cabine, sans être obligée
de me cramponner un peu partout, ce qui est rare !
Au débord d'un cap, apparaît le pont Tanka Nozica,
sous lequel nous passons pour contourner Pag. C'est amusant
de se glisser sous cette immense arche. Le pont franchi, le
vent revient devant et nous atteignons des sommets à
2,1 noeuds, puis à 4,2 noeuds !
Nous avançons maintenant entre caps et baies sur
les deux bords, dans une sorte de mer intérieure dont
on ne devine pas la sortie. Le paysage est superbe, la mer
plate, le vent à peine frais. Au loin, les hauteurs
de la côte croate soulignent le premier plan moins élevé,
mélange de roches à nu et de végétation
maigre.
Au plaisir du décor, s'ajoute celui de pouvoir circuler
sans contrainte dans le voilier si sage et dans la seule musique
de l'eau qui file le long de ses flancs. Eglise isolée
sur un pauvre caillou désolé, langues de terre
plates coiffées d'herbe rase de tendre couleur, village
habillé de verdure au flanc d'un coteau aride, l'anse
Jasenovo nous accueille pour ce soir, dans un écrin
de verdure, roseaux bruissant du chant des cigales. Tandis
que nous arrivons, au loin, la masse nuageuse qui chapeaute
les montagnes de la côte, est zébrée d'éclairs
! Pour l'instant, nous sommes encore dans le soleil et les
couleurs éclatantes ! Peu à peu, celles-ci se
déclinent en rouge, orange, dans le ciel embrasé
par le dieu Râ qui tombe doucement dans la mer.
Dommage que ce mouillage idyllique ait été troublé
une partie de la nuit par des braillards qui hurlaient et
riaient de toutes leurs forces sur la rive !
Lundi 1 août
Nous levons l'ancre de bonne heure pour contourner l'île
de Vir et descendre ensuite vers Zadar plus au sud. L'extrémité
découpée de Pag, plate, se détache par
ses jaunes sur le fond gris du continent. Au premier plan,
au ras de l'eau, des murettes enferment une herbe rare qui
tend vers le vert sans complètement l'atteindre. Dans
cette mer enfermée entre Pag, Vir et la côte
croate, la brise diurne qui se lève, ne soulève
pas de vagues. La mer est bleu ciel et le ciel lui, d'un bleu
pâle, estompé par les voiles des cirrus (hélas
encore une dépression à venir), adoucit le décor
de teintes d'aquarelle.
Cap Sounion effleure l'eau sans à coups, c'est vraiment
chouette de ne pas être rivée sur ma banquette
pendant des heures, pouvoir entrer dans la cabine, sortir,
bouger quoi !
Vir est beaucoup plus diversifiée que Pag, habitations
coquettes, carrés d'arbres, terres ocres tapissées
d'herbes tendres jusqu'au bord de l'eau, plagettes ourlant
des longues terres effilées et plates.
Après le déjeuner, le vent se lève de
l'arrière et nous emmène bon train, toutes voiles
dehors, jusqu'à Zadar où nous arrivons à
16 heures. Nous étions venus ici en 1983, Olivier avait
alors quatre ans et il s'était perdu sur le marché.
Pur moment d'angoisse, au milieu de cette foule, dans un pays
dont nous ne connaissions pas la langue, pour demander si
on avait vu un petit bonhomme blond de quatre ans...
Bon, nous l'avions retrouvé au bout d'un moment (long
moment !) mais le souvenir est impérissable. Je ne
me souviens plus de la ville, juste de cet épisode.
Nous allons donc la redécouvrir.
Le centre historique de Zadar recèle de beaux monuments,
tour à tour nous allons découvrir la porte d'entrée
de la cité, le square aux cinq puits, la sentinelle
de la ville qui veille sur une jolie place aux pavés
lustrés, les églises de St Siméon, St
Michaël, Ste Mary, St Chrysogonus, la cathédrale
Ste Anastasia et les orgues de la mer. Le vent en s'engouffrant
dans des trous creusés sur le quai, ressort par une
multitude de bouches disposées à même
le sol de la promenade, sous la forme de sons proches de celui
des orgues des églises; c'est à la fois lancinant
et apaisant. Après avoir beaucoup marché, nous
dînons au restaurant et rentrons.
Mardi 2 août
Grand beau sur Zadar, ça fait du bien ce ciel bleu,
même si on a chaud à transporter les provisions
à pied. Nous devons remplir les coffres en prévision
des escales prochaines dans les Kornatis, où nous ne
trouverons rien. Un grand carton plein de fruits et légumes,
quelques bouteilles, du pain, mais pas de viande au market
ridiculement petit pour ce quartier du port, et pas davantage
de boucherie aux environs. Nous supposons qu'en périphérie
de la ville, doivent se trouver des grandes surfaces, mais
c'est trop loin.
Partis en milieu d'après-midi, une belle étape
à la voile au vent arrière nous amène
jusqu'à Crvena Luka à deux milles au sud de
Beograd Na Moru, petite ville que nous avons eu l'occasion
de découvrir l'an dernier, notamment après
notre périple retour des chutes de La Krka, quand
après de longues heures dans la nuit à bord
de Marafaniou, nous avions campé avec Alain, Blandine
et les enfants dans une chambre prêtée par Manolo,
le fils du gérant d'un hôtel complet, comme tous
les autres.
Aujourd'hui, les vagues nous poussaient par l'arrière,
tant et si bien que l'une d'elles s'est invitée à
bord, franchissant le plat-bord arrière, faisant le
tour des bancs du cockpit avant de s'écouler au fond.
Jean Paul aux premières loges a eu droit à la
douche intégrale, moi sur la banquette opposée,
je n'ai reçu que la fin de la vague !
Ce soir, on a étendu, pour les faire sécher,
les serviettes de bain et... la carte marine !!!
Depuis notre mouillage, juste en face de nous, brillent les
lumières blotties au creux de l'île de Vrgada,
lumières que nous reconnaissons pour les avoir scrutées
si longtemps, sur Marafaniou, la nuit de notre équipée
entre Sibenik et Beograd.
Un peu plus au nord, l'extrémité
de l'île de Pasman se dessine en ombre sur la mer tandis
qu'au sud, sur la rive où nous nous trouvons, s'allument
les lumières de Pakostane.
La géographie de cet endroit est restée marquée
dans notre mémoire et c'est bizarre comme la nuit qui
tombe la ressuscite, intacte, un an plus tard et avec elle tous
les souvenirs qui l'accompagnent... ces heures stressantes à
se frayer un chemin entre les îles invisibles sous un
ciel d'orage très noir, qui s'étaient heureusement
bien terminées, restent un souvenir très présent
en même temps que nostalgique aujourd'hui !
Mercredi 3 août
Si la visibilité, l'an dernier, avait été
aussi bonne qu'hier soir, nous aurions pu rentrer sans souci
à Landin, au lieu de nous réfugier à Beograd.
La voûte semée d'étoiles éclairait
la mer, malgré l'absence de lune. Au matin, le jour,
rouge, a poussé l'obscurité vers l'ouest pour
illuminer toute la baie d'un grand soleil éclatant. Les
sauterelles s'en donnaient à coeur joie dans les pins
bordant la rive.
A la mi-journée, escale dans un mouillage au milieu des
îlots proches de Murter, sur la route du pont de Tijesno,
que nous ne franchirons pas cette fois, mais sous lequel, nous
nous étions glissés avec Marafaniou, l'an dernier,
pour nous rendre aux chutes de la Krka. Nous avions, cette année,
projeté d'y passer deux jours, mais le retard accumulé
à cause de la mauvaise météo des quinze
premiers jours, ne nous le permet pas.
La baie de Radelj où nous déjeunons, miroite de
bleus et de verts. Pour l'atteindre, nous nous sommes faufilés
entre îlots et rochers, dans un décor de rêve
! L'étape nous conduit finalement à Pirovac, joli
village ancien au bout d'un bras de mer en impasse.
Les ruelles empierrées et lustrées, étroites,
se coulent entre d'authentiques maisons de pierres, escaliers
étroits, volets colorés. Devant l'église,
une place carrée, conviviale, autour de laquelle les
gens prennent l'air, qui sur une chaise, qui sur un tabouret,
débouche droit sur le port.
Après avoir parcouru toutes les rues, nous dînons
d'un copieux mixed grill dans une des konobas de l'endroit.
Jeudi 4 août
Quelques averses cette nuit mais, au matin, le ciel grisaille,
réussit à reprendre de la couleur. Après
une longue étape, sur mer plate, nous mouillons dans
l'après-midi, au sud de Katina, minuscule îlot
situé au nord de la grande île de Kornat (de l'archipel
des Kornati), dans un cadre extraordinaire. L'anse que nous
avons choisie est beaucoup moins fréquentée que
celles où se sont établis des restaurants et où
s'entassent les gros yachts de luxe.
Dans une symphonie d'eau émeraude et au pied de collines
caillouteuses habillées d'herbes sèches, Cap Sounion
tourne tranquille autour de son ancre.
En 1983, nous étions avec les enfants dans les Kornati.
Un matin, les dauphins nous avaient rendu visite et j'avais
eu beaucoup de mal à empêcher Olivier (presque
4 ans) de sauter dans l'eau avec eux. A l'époque, le
séjour dans ces îles était gratuit. Aujourd'hui,
une taxe est perçue par personne et par jour dans tout
le parc naturel.
Le soleil a fini sa course dans l'eau. La nuit est tombée
avec juste un quartier de lune qui veille sur les grillons du
rivage. C'est le silence... le silence délicieux... le
silence qui fait frissonner de plaisir... et l'immobilité
parfaite.
Vendredi 5 août
La nuit dans ces îles, par temps calme, a le goût
de la sérénité. L'eau, miroir lisse du
ciel, sans une ride, se colore de gris argent et apaise.
Dommage que dès 10 h 30 commence l'infernale ronde des
bateaux d'excursions qui se succèdent sans discontinuer
jusqu'au tomber du soleil. C'est aussi l'heure où la
brise se lève et où nous pouvons sortir à
la voile. Aujourd'hui journée dans les Kornati ! Nous
allons errer d'île en îlot, à commencer par
l'étonnante couronne de Mali Obrucan, sorte de paroi
abrupte surgissant, incongrue, des flots. nous ne sommes pas
seuls sur la mer, voiliers, yachts à moteur et divers
canots sillonnent l'archipel en tous sens. vent, mer belle,
décor sauvage... Tout proche, Veli Obrucan, dresse face
à la mer, un mur vertical creusé de cavités
rondes, tandis que la face tournée vers les terres est
couverte d'herbes vives étagées entre des murailles
rocheuses implantées obliquement.
A midi, nous jetons l'ancre dans une anse de la côte nord
de Levrnaka, à l'eau merveilleusement verte, tout près
de la minuscule église Notre Dame de Tarac et du fort
de Tureta sis au sommet d'une colline d'où, autrefois,
on surveillait le passage des bateaux dans l'archipel.
En partant, je prends la barre; Cap Sounion, au près,
file sur l'eau plate. Nous nous baladons, à la voile,
plat-bord dans l'eau, dans le grand bras de mer de Telascica,
profondément enclavé dans l'île de Dugi
Otok, qui fait suite à la grande île de Kornat.
Mais le paysage ici, est moins grandiose. Nous passons la nuit
dans l'échancrure de Cuska Duboka... Calme et silence...
Samedi 6 août
Nous allons quitter les Kornati. En sortant de Telascica, nous
empruntons la route au nord de l'îlot Katina et passons
devant le petit restaurant où nous avions pris un verre
avec Alain et Blandine l'an dernier, à la terrasse donnant
juste sur l'étroit chenal de Proversa Mala qui permet
de s'échapper des Kornati.
Pas de vent, mais une mer en charivari à
cause de la horde de yachts et bateaux de croisière qui
soulèvent vagues et gerbes d'eau tout autour de nous.
En fin de matinée, nous croisons notre premier dauphin
des vacances. Chaque année, nous en rencontrons au moins
un. L'an dernier, nous en avions croisé plusieurs, après
la nuit à Beograd, entre la côte et Pasman. Celui
d'aujourd'hui a bien du mérite de nager dans le tohu-bohu
des bateaux à moteur, à moins qu'il ne s'amuse
à jouer avec les vagues qui s'entrecroisent. Une fois
sortis de la zone de turbulence, nous trouvons une mer plate
et un bon vent sur bâbord, qui nous permet de gagner Lucina,
toutes voiles dehors.
Ce mouillage, proche du port de Brbinj, dont l'unique quai est
déjà complet à 16 heures, se niche dans
un creux de Dugi Otok, dans un des plus beaux paysages de la
région, îles et îlots verdoyants, plantés
de pins et peuplés de grillons, sur mer d'azur.
Alors que nous rentrons en annexe après avoir dîné
au restaurant, la baie se colore de rose, orange, mauve...
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