Souvenirs de croisière
10 août 1980 : Nous avons quitté le port de Fécamp,
depuis déjà longtemps… Le soleil se couche,
nous sommes devant le Havre, la mer est belle !
L'envie nous prend de continuer, les garçons sont couchés,
la soirée est douce, nous n'avons plus envie d'entrer
au port. Nous dépassons le Havre, la nuit tombe…
Un gros paquebot surgit derrière nous, nous ne l'avons
pas vu dans le noir… Enorme coup de trompe ! Réaction
instantanée : Nous nous écartons très vite
de sa route…
C'est notre première croisière avec Cap Sounion,
je décide d'aller m'allonger à l'intérieur,
comme dans les livres, où tandis que l'un prend le quart,
l'autre dort… Je m'endors en effet, bercée par
les vagues… Quelques heures plus tard, réveil en
sursaut ! Surprise, j'entends les vagues qui frappent la coque
tandis que le bateau s'agite dans tous les sens. Désorientée
par le noir et les mouvements désordonnés, je
ne sais plus où se trouve la porte du carré avant.
Devant moi se dresse la cloison, non ce n'est pas la porte ici
! Je tatônne dans le noir, jusqu'à trouver le vide,
et la sortie...
Une fois dehors, je me rends compte qu'il fait frisquet, maintenant.
La mer s'est levée, la brume estompe le paysage, on ne
voit plus grand chose. Où sommes-nous ? Nous échafaudons
plusieurs hypothèses, ce feu, là, ne serait-ce
pas celui des bancs de Seine ? Possible, mais nous n'en savons
rien.
Le vent souffle très fort maintenant… Avec le recul,
je sais aujourd'hui qu'il n'en était rien… Juste
un vent de terre un peu fort qui lève la mer, au moment
où se produit l'inversion vent de terre-vent de mer,
quand la température se refroidit. Mais, ce jour-là,
pas de doute, nous sommes en pleine tempête. Et pas moyen
de trouver un abri, puisque nous ne savons pas où nous
sommes ! Alors, puisque nous avons une voile de tempête
- le tourmentin - nous le hissons vite fait. Nous avons peut-être
trop lu de livres de navigation, et d'aventures en mer…
Enfin, nous y croyons. Le tourmentin nous permet de faire face
au vent que nous croyons violent. Manque d'habitude, fausse
évaluation ! Il faut dire, pour les non-initiés,
que le tourmentin est une minuscule voile qui permet d'étaler
des vents d'une très grande force… Et je dois ajouter
qu'en 28 ans de navigation à ce jour, nous avons connu
de vraies grosses tempêtes, avec des vagues jusqu'à
quatre mètres, et cependant, jamais plus après
cette étape, nous n'avons eu l'occasion de sortir le
tourmentin. Il est encore tout neuf dans son sac après
cette seule utilisation… C'est pour dire, combien ce bout
de toile ce jour-là, était inadapté.
De plus, nous sommes complètement perdus. Jean- Paul
attend le petit matin, pour voir où se lèvera
le soleil (s'il veut bien apparaître). Comme il se lève
à l'est, nous n'aurons qu'à nous diriger vers
lui pour nous rapprocher de la côte, et ensuite la longer
pour trouver un port.
Le soleil, pâlot, se devine à peine derrière
les nuages, mais suffisamment pour nous guider. Devant nous
apparaît bientôt Cabourg, que nous connaissons bien,
pour y être allés souvent en caravane. Nous entrons
dans le port de Dives, avec notre tourmentin toujours hissé,
et nos cirés sur le dos, car la nuit a été
froide. Les gens nous regardent accoster, et viennent nous voir,
compatissants: "Oh la la, vous avez le tourmentin, la mer
était grosse au large ?".
Nous acquiesçons, de bonne foi. Nous serons sans doute
les seuls à avoir trouvé la mer grosse, ce jour-là !
Et oui !
En évoquant ce souvenir aujourd'hui, je le revis avec
un sourire amusé, c'était notre première
croisière. Trois mois plus tôt, nous n'avions jamais
mis les pieds sur un voilier. Juste après que nous l'ayons
acheté, un vendeur est venu une fois nous en expliquer
le maniement… Et encore, il ne nous a pas raconté
grand chose. A nos questions "pourquoi ceci, pourquoi cela
?", il répondait à peine, tout lui paraissait
évident. A nous, pas !
Alors nous sommes partis en croisière, avec la chance
des débutants, comme nous avions fait notre première
sortie avec cette même veine… la vis de l'étai
qui lâche, le risque de voir le mât s'écrouler
sur le pont… nous virons de bord en catastrophe, pour
que le vent gonfle la voile par l'arrière… Vite,
très vite, nous réparons en urgence, avec une
vis de la boîte à outils… Ouf ! ça
se termine bien… la chance des débutants, disais-je
!
C'était une époque, où le surcroît
de précautions n'avait pas envahi nos vies. Nous vivions
nos envies sans interdits, et sans craintes exagérées.
Pourtant, nous n'étions pas inconscients. Les enfants,
dès que la mer devenait un peu plus forte, étaient
toujours enfermés à l'intérieur, pour éviter
qu'ils ne passent par dessus-bord. Et dehors, ils portaient
des harnais qu'on attachait à la ligne de vie, fixée
sur le pont. Pour Olivier qui était tout petit (presque
un an), j'avais fabriqué un harnais d'une solidité
à toute épreuve, parce que ceux du commerce étaient
trop grands pour lui…
Cette année-là, pour une première croisière,
nous avons eu l'occasion de goûter diverses expériences.
Le passage du raz Blanchard, ne fut pas la moindre. Nous l'avions
bien pris à temps, comme le disait le guide, pour le
passer dans le sens du courant, mais le manque de vent nous
ayant retardé, nous avons fini par l'avoir contre nous.
Aujourd'hui, nous n'aurions pas eu ce problème car nous
aurions mis le moteur pour avancer plus vite. A l'époque,
nous étions des puristes… la voile, c'était
la voile !
Le raz Blanchard, c'est l'un des courants de marée les
plus puissants d'Europe, situé entre le cap de la Hague
et Aurigny. Sa vitesse peut atteindre 12 nœuds pendant
les grandes marées. Pas besoin de dire que la faible
vitesse du vent, ce jour-là, ne suffisait pas à
étaler le contre-courant. Je ne saurais dire combien
de temps nous sommes restés en face du même point
de la côte... le temps qu'arrive la renverse, j'imagine.
Un autre jour, nous avons eu un bon coup de vent, lors d'une
étape, un vrai cette fois ! Les vagues embarquaient dans
le cockpit par l'arrière. Nous avions constamment les
jambes dans l'eau. Nous avions vite mis les garçons à
l'intérieur et fermé la demi-porte. Vincent regardait
dehors par l'ouverture restante. Il faut dire que nous n'étions
pas très rassurés de voir ainsi l'eau s'inviter
à bord à chaque vague… Malgré cela,
comme il fallait faire bonne figure pour ne pas effrayer les
enfants, je riais très fort à chaque fois que
l'eau franchissait le tableau arrière, comme s'il était
agi d'un jeu amusant au bord d'une plage bien tranquille. Rire
dans ces conditions, aurait relevé de l'inconscience,
si ce n'avait été un simulacre ! Quelques heures
plus tard, enfin, nous avons été soulagés
et bien contents de trouver un abri pour la nuit.
De nuit et d'abri, justement, parlons-en ! Un autre souvenir
épique, c'est celui de la baie du télégraphe,
un mouillage sympathique à Guernesey… tout au moins
au début. Car au milieu de la nuit, nous avons vite déchanté
! Cela devint infernal, les vagues entraient directement dans
la baie, secouant notre "home" dans tous les sens.
La chaîne de l'ancre se tendait à mort, et soudain
rappelait le bateau. Tous les quarts d'heure, j'étais
dehors, pour voir si nous étions encore attachés,
et si nous ne dérivions pas vers la côte. Nous
avons connu d'autres nuits semblables, dans nos voyages ultérieurs,
mais là, c'était la première fois, et ce
n'est rien de dire que nous n'étions vraiment pas tranquilles.
Il y eut des moments drôles aussi, par exemple le jour
où ayant laissé Olivier endormi et enfermé
dans sa couchette, dans la cabine elle-même fermée
à clef, nous étions installés dans le cockpit
du bateau voisin avec des français qui nous avaient invités
à boire un verre. A notre retour, nous avons trouvé
notre bébé assis par terre, sur la moquette. Il
avait réussi à se glisser hors de son lit, fermé
par une couverture suspendue au plafond, et ayant ouvert le
placard du bas, juste à sa hauteur, il avait entrepris
de vider les paquets de gâteaux rangés là…
Assis au milieu des biscuits écrasés partout,
il picorait, un morceau de celui-ci, une miette de celui-là
! Un beau tableau !
Je terminerai par la grève des pêcheurs qui se
déclencha cette année-là. Ça, on
peut dire, que c'était une vraie malchance pour nous.
Combien de fois avons-nous été empêchés
de sortir d'un port, comme à Cherbourg, où les
plaisanciers avaient fini par couper le câble tendu en
travers de la passe, avec les cisailles à haubans. Nous
en avions profité pour nous échapper très
vite. Pire, combien de fois n'avons-nous pas pu entrer dans
un port ! Et là, il fallait s'amarrer dans les avant-ports,
aux prises avec la marée qui inlassablement montait et
descendait. Nous ne pouvions quitter le bord que quelques heures,
car nous devions constamment rallonger ou raccourcir les amarres
selon la hauteur de l'eau… Et la nuit, de même !
Il fallait donc faire sonner le réveil régulièrement.
Jusqu'au jour, où nous ne l'avons pas entendu, à
moins que nous n'ayons oublié de régler la sonnerie.
Toujours est-il qu'à un moment, réveillés
en sursaut par quelque secousse, nous sommes sortis en catastrophe
pour découvrir que nous n'étions plus dans l'eau,
mais bel et bien suspendus par les cordages, au dessus de l'eau
! Je dois dire que j'ai oublié comment nous nous sommes
tirés d'affaire, en tout cas sur l'instant, ce fut une
belle surprise...
Ecrit le 12 juin 2008
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