Dimanche 7 août
Beaucoup de vent, heureusement derrière nous, pour l'étape
de ce jour, parfois au grand largue — et là c'est
agréable — parfois complètement sur la poupe
et alors le voilier roule et c'est moins bien. Au moins, on
n'a pas été trempé et Cap Sounion n'a pas
tapé dans les vagues comme ç'aurait été
le cas, si on avait eu cette grosse brise de face.
En entrant dans la baie de Tazi à midi, il a fallu remonter
un peu au vent... Plat-bord dans l'eau, gîte spectaculaire
! Ça, j'aime ! Mais c'est quand même un peu risqué
et mieux vaut que ça ne dure pas trop... 25 noeuds de
vent au près, ce n'est pas rien... avec par bonheur,
une mer rendue plate par la proximité de la terre.
Lundi 8 août
Misère de galère ! Le moteur n'a plus de puissance.
C'est arrivé ce matin en cours d'étape sans qu'on
sache trop pourquoi. On peut encore s'en servir pour entrer
dans un port mais sûrement pas pour lutter contre la mer
ou le vent. Nous décidons donc d'aller à Mali
losinj, ce soir et ensuite d'essayer de faire de très
longues étapes en profitant du vent quand il y en aura,
espérant ainsi arriver à Grado en temps voulu.
C'est un vrai problème, car il ne faut pas trop de vent
debout et pas non plus de calme plat.
A midi, nous déjeunons à Ilovic, après
quoi je prends la barre jusqu'à l'arrivée à
Mali Losinj. Il nous a fallu tirer des bords au vent arrière,
puis au près, une fois entrés dans le bras de
mer qui rejoint la ville.
Le port est plein, bateaux à couples, du monde partout.
Nous essayons de nous amarrer contre une barque vétuste,
mais le propriétaire ne veut pas, il dit qu'elle va casser,
car la bora est annoncée. Agacés par son comportement,
nous changeons de place et nous mettons à couple en quatrième
position. Nous sommes vraiment minuscules près des énormes
voiliers placés entre le quai et nous.
Mali Losinj est une ville plaisante, où nous nous promenons
avant de faire les courses et de dîner à une terrasse
de restaurant. Et voilà l'orage, des nuages noirs, immenses,
des cataractes d'eau qui nous éclaboussent tandis qu'on
mange. Le store ploie sous le poids de l'eau, les serveurs s'affairent
à le vider à l'aide de grandes perches, ça
coule, ça ruisselle, ça dégouline partout.
Les gens glissent sur les pavés trempés. La place
couverte de flaques luit sous la lumière dorée
des lampadaires.
Après les averses, nous rentrons à
notre bord, en aquaplaning sur nos tongs. L'annexe est pleine
d'eau, il faut la vider avant de monter dedans. le cockpit est
rempli lui aussi. Nous en profitons pour laver la vaisselle,
car depuis quelques jours nous économisons l'eau, vu
qu'on n'a pas pu en trouver depuis Zadar, soit une semaine,
et qu'il n'y en a pas non plus ici.
Après cette journée bien chargée, nous
espérons que l'annonce de bora nocturne ne sera qu'une
fausse alerte.
En tout cas, Mali Losinj de nuit, a beaucoup de charme, lumières
jaunes autour des quais bordés de cafés et de
restaurants, une grande place illuminée et en haut du
village, le clocher de l'église éclairé.
Mais c'est le déluge ! Impossible de dormir, quand tout
est fermé, on étouffe. Je passe la nuit à
lever et baisser le toit, entre les averses qui se succèdent.
Mardi 9 août
Il ne pleut plus, nous partons à 8 h 30 pour la traversée
vers Pula, distante de 35 milles. Peine perdue ! Après
un début plutôt calme, le vent de bora se lève,
trop fort, avec des vagues de plein fouet d'au moins 2,50 m
et plus pour certaines. Nous sommes au bout d'Unije quand nous
nous rendons compte que nous ne pourrons pas traverser vers
l'Istrie dans ces conditions, d'autant que ça risque
d'empirer... Aucun abri à proximité, nous faisons
demi-tour jusqu'à la pointe sud d'Unije et passons du
côté est. Ce n'est guère mieux, nous le
savions, puisque d'un côté comme de l'autre, il
faut remonter le lit du vent, mais sur cette rive, de profondes
échancrures nous permettront de nous abriter pour la
nuit. Le moteur qui ne donne plus que la moitié de sa
puissance, nous aide quand même un peu. A 14 heures, nous
entrons, trempés, salés, dans le même mouillage
qu'au début du voyage, là où l'ancre avait
dérapé sous une pluie battante dans la nuit du
21 au 22 juillet.
Jean Paul ouvre le moteur, une croûte de sel impressionnante
s'est fixée à l'intérieur. Bizarre !
Nous voilà coincés encore une fois, à écouter
les rafales tourbillonner, prisonniers au milieu de la baie
! Avec rien d'autre à faire que lire, lire, lire pendant
des heures en attendant le dîner et ensuite, lire, lire,
lire...
Depuis le départ, c'est notre sixième jour d'immobilisation...
D'ordinaire, deux à trois jours (et encore !) sont un
grand maximum. Le pire, c'est que la traversée vers l'Istrie
et la longue remontée le long de la côte, sont
encore devant nous.
A 19 heures, le vent souffle avec toujours autant de violence.
Vraiment marre de ce vent ! Il y a des gens qui aiment l'entendre,
et bien pas moi ! Ça me tape sur les nerfs. Si encore,
on était tout proche de la rive, pour sentir l'odeur
des pins et de la terre chaude, entendre le bruit des grillons,
mais même pas... On ne sent rien, on n'entend rien...
rien que l'odeur fade de la mer et les sifflements du vent sinistre
et froid. Je rêve de silence et de tièdes senteurs
terrestres.
Une grosse chèvre noire et blanche cabriole sur les rochers
du rivage... Elle nous distrait un moment.
Plus tard, la lune traversera dans un sens puis dans l'autre,
inlassablement, la portion de ciel qu'on aperçoit par
le toit ouvert. Est-ce bien elle qui se balade ainsi d'un bout
à l'autre du ciel ? N'est-ce pas plutôt Cap Sounion
qui tournoie autour de son ancre ?
Mercredi 10 août
Le vent n'a pas cessé de gémir de toute la nuit...
Minant, quand on n'attend qu'une chose, qu'il se taise, que
la mer s'aplatisse et qu'on puisse traverser demain vers l'Istrie.
Ce matin, ciel bleu, mer bleue, vent, vent, vent... Je calcule
que la pointe d'Unije se trouve à 16 milles de celle
de l'Istrie, que la mer la plus forte serait au départ
de l'étape, parce que frappant de face, et qu'ensuite,
nous l'aurions sans doute par le travers. J'estime que cela
se résume donc à 4 milles difficiles au début,
qu'après le cap Komenjak au sud de l'Istrie, on trouverait
un mouillage protégé à 4 miles, au cas
où la nuit serait tombée avant qu'on n'atteigne
Pula. Et que finalement, si c'est trop fort en partant, on fera
demi-tour vent arrière.
Tout ça avec dans l'idée que notre moteur ne pousse
plus beaucoup et qu'il n'est de taille à lutter ni contre
un vent fort, ni contre des vagues de face, sans l'aide des
voiles !
Tous ces calculs faits, nous décidons d'essayer. Le vent
ne s'époumone plus en continu mais en rafales fortes.
Jean Paul prépare le génois à gauche, le
foc à droite pour avoir le choix selon la force du vent.
Et nous voilà partis... Non sans difficulté !
Grand-voile seule à un ris et le moteur qui fait gagner
un noeud environ... Au près, en tirant des bords vers
la pointe nord d'Unije, le vent dans le nez, violent, jusqu'à
29 noeuds dans les bourrasques, les vagues qui balaient le pont,
gouttelettes de sel qui nous collent au visage.
Plus d'une heure et demie pour gagner quatre malheureux milles...
Je soupçonne que Jean Paul abandonnerait volontiers,
pourtant je tiens bon, avec un moment de découragement
quand après avoir dépassé un îlot
et deux caps, apparaît au loin — trop loin —
le feu nord d'Unije. C'est parce qu'il est logique de penser
qu'après ce feu, la position des vagues sera moins désagréable,
que je m'oblige intérieurement à m'accrocher jusque
là, pour voir au moins, ce que ça donnera après.
Peu avant le cap, le vent baisse d'un ton, Jean Paul envoie
alors le petit foc pour avancer plus vite. La voilà enfin
cette extrémité de l'île, nous virons au
285 et le miracle s'accomplit, la mer est moins violente, le
vent passe aux trois-quarts arrière ! Ouf ! On va pouvoir
traverser. Bientôt, nous larguons le ris pour récupérer
toute la grand-voile, nous coupons le moteur pour l'économiser
(espérant préserver jusqu'à Grado, la petite
aide qu'il nous apporte), et plus loin, remplaçons le
foc par le génois. La mer est creuse, mais les embruns,
dans ce sens, ne nous mouillent plus et nous avançons
à 4 ou 4,5 noeuds.
A environ 6 milles du cap Kamenjak, le vent tombe et tourne
au nord-ouest. Nous revoilà au près mais avec
à peine un souffle de vent ! Le moteur relancé
nous permet tout juste d'atteindre 2,8 noeuds, c'est terriblement
long. Après le Cap, il restera encore 8 milles pour Pula
!
Alors que la nuit tombe (il est 21 heures), nous entrons dans
la baie de Pula et mouillons près d'un quai abandonné
(le même qu'au début des vacances), ce qui nous
permet de descendre nous dégourdir les jambes, car depuis
Pirovac, le 3 août, on a juste fait une escale à
terre à Mali Losinj.
On ne voit pas grand chose du paysage, car il fait nuit noire
sous les arbres, mais ça défoule quand même,
cette petite marche !
La lune redevenue presque entière veille sur nous, très
fatigués, ce soir.
Jeudi 11 août
Après une nuit froide, où nous avons clos entièrement
le bateau, pour conserver un peu de chaleur, nous sommes en
route dès 8 h 15, car nous aimerions nous arrêter
à Porec à 23 milles environ, mais sans vent il
nous faudra au moins neuf heures avec notre moteur poussif.
Or Porec est une escale très prisée et il est
conseillé de s'y trouver en début d'après-midi,
pour avoir une place. On verra bien ! Si par chance, le vent
se levait — pas trop fort — ce serait bien !
Et bien, non, la chance n'est pas au rendez-vous. Partis avec
rien de vent, quand il se lève il est devant nous et
plutôt fort évidemment. Une vraie étape
de galère... à tirer des bords carrés au
près, dans une mer bouillonnante à cause de centaines
de bateaux à moteur qui croisent dans tous les sens,
nous coupant la route, rasant nos deux bords, au milieu des
écueils disséminés partout et à
peine visibles, des scooters de mer, pédalos et nageurs
autour de chaque îlot... Jean Paul maudit je ne sais qui,
je ne sais quoi et reçoit finalement un coup de bôme
sur la tête. Ça n'en finit pas cette étape,
le soleil nous cuit, mais en même temps il fait froid
avec ce vent fort, on est bousculé dans tous les sens,
on vire de bord sans arrêt, pour passer chaque cap, chaque
rocher et le bateau ne remonte pas dans ce vent frais, avec
ses deux voiles bordées à mort et le moteur récalcitrant.
Quand nous arrivons enfin à Porec, il faut abattre grand-voile
et génois au dernier moment, sinon le moteur ne suffirait
pas d'autant plus que maintenant, quand on le ralentit, il cale.
Après plusieurs redémarrages,
on est presque arrivés au quai, et voilà qu'on
nous refoule... Complet ! Pourtant, il reste de la place. A
la marina voisine, c'est pareil, le moteur cale sans cesse,
n'arrive pas à franchir le lit du vent, un énorme
voilier bien plus manoeuvrant que nous, refuse de s'écarter
et le moteur cale encore et encore. Pour finir, on nous demande
de partir, faute de place. Restent des corps morts dehors, où
on va payer pour être ballottés comme en pleine
mer ! Ras l'bol ! Fatigue !
Aller à Novigrad, c'est encore 6 ou 7 milles dans les
mêmes conditions que précédemment, soient
deux à trois heures de mer, je n'en peux plus... Jean
Paul propose alors de retourner d'un mille en arrière
jusqu'à la marine Zelena Laguna que nous atteignons à
17 heures.
Partis depuis 8 heures ce matin, nous avons navigué 28,5
milles pour une distance réelle de 23 milles.
La fin d'après-midi est meilleure, nous prenons un petit
train touristique qui en 25 minutes nous emmène à
Porec où nous traînons entre les boutiques et les
ruelles anciennes aux pavés luisants. Jean Paul ayant
perdu sa casquette en mer, nous en achetons une autre, puis
après avoir dîné au restaurant, nous rentrons
en petit train. Il fait très froid avec le vent et nous
sommes peu couverts. Nous n'imaginions pas avoir froid en short
et tee-shirt en Croatie.
La lune peut bien rigoler dans son ciel plein d'étoiles
!
Vendredi 12 août
Une nuit encore bien fraîche où il a fallu tout
fermer pour dormir. C'est extraordinaire, les autres années
on meurt de chaud, alors que tout est ouvert en grand.
Bon, 8 h 20... On y va, le vent est déjà levé,
au près bien entendu, pas trop fort pour l'instant, mais
de Nord-est donc froid. Heureusement, le soleil est là.
14 heures : Umag ! Nous avons tiré des bord tout au long,
mais aujourd'hui le vent et la mer étaient plus maniables.
Nous jetons l'ancre à proximité du village ancien
qu'on ne devine pas si on s'amarre à la marina, comme
nous l'an dernier.
Après-midi tranquille à nous promener dans les
petites rues et dîner au restaurant sur une terrasse au-dessus
de la mer...
Samedi 13 août
La dernière étape... Il est 8 heures, il fait
frais.
Peu après midi, nous arrivons à Grado, sans difficulté,
entourés de nombreuses méduses bleues et violettes,
superbes. Mais ce n'est pas sans mal, que nous atteignons la
cale sous la grue, le courant étant violent et nous peu
manoeuvrant avec notre moteur sans force.
Ce soir, le mât repose sur le pont de Cap Sounion, tandis
que nous allons dîner en ville. La lune est pleine comme
aux premiers jours de notre périple.
Dimanche 14 août
Au revoir Grado ! Il est 11 heures.
Nous traversons les superbes paysages de montagne de l'Italie
d'abord puis de l'Autriche et de l'Allemagne sous un soleil
de plomb. Qu'elles sont belles ces Alpes verdoyantes !
Lundi 15 août
Partis à 8 heures, nous roulons bien et nous arriverons
ce soir au lieu de demain comme prévu à l'origine.
Un dernier restaurant à Beauvais et nous arriverons chez
nous à 23 h 15.
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