Vendredi 13 août
A peine sommes-nous levés, qu'une barque s'approche de
nous. On nous réclame 60 kunas pour avoir passé
la nuit ici... dans la baie qui n'est même pas fermée...
et sur notre propre ancre... sans utiliser leur bouée,
sans eau ni électricité. Ça me scandalise
de devoir payer pour jeter l'ancre en mer, ce n'est même
pas un mouillage; c'est comme à Silba, une grande anse
protégée par deux îles qui se font face.
Le ciel est gris, plombé, pas un souffle d'air, c'est
lourd. Dans l'eau limpide, glisse une orphie d'une cinquantaine
de centimètres. Nous quittons bientôt Olib au moteur
mais peu après le vent se lève devant et nous
permet de hisser les voiles. A midi, nous déjeunons,
arrêtés devant Male Orjule, dans un endroit ravissant,
entièrement entouré d'îles et îlots
et ça sent bon la pinède et les herbes chaudes.
Après une courte escale, nous reprenons
la route, sous un ciel toujours sombre. Des orages rôdent
autour de nous. Un peu avant 16 heures, nous accostons à
un des pontons du petit port d'Ossor. Quelques moutons paissent
au bord de l'eau. Il pleut à verse. En fin d'après-midi,
les nuages ayant fini de se déverser sur nous, nous allons
flâner dans les rues d'Ossor agrémentées
de nombreuses sculptures et bordées de maisons anciennes
en pierre de pays. Les fleurs recouvrent les murets des ruelles
et répandent des senteurs délicates après
la pluie. Le pont tournant livre passage aux bateaux qui se
glissent entre les îles de Losinj et de Cres. Demain,
nous l'emprunterons à notre tour.
Samedi 14 août
Le pont tournant pivote doucement, laissant les bateaux s'engouffrer
dans la passage ainsi libéré.
Il est 9 heures. Sous le ciel gris (pourtant
cette nuit, il y avait des étoiles), nous franchissons
les 22 milles qui nous séparent de la pointe de l'Istrie.
La mer est calme, mais jamais aussi belle que sous la protection
des îles. Ici, plus rien ne nous sépare de la mer
du large et il en sera ainsi jusqu'à Grado.
Le petit vent de nord-ouest ne soulève pas de grosses
vagues, plutôt des ondulations irrégulières
dues à la houle et pas le moindre mouton. Mais tout est
gris, la mer comme le ciel. Pour déjeuner, nous faisons
halte dans une baie aux eaux vert foncé, entourée
de pins et de roches plates, puis nous reprenons la mer pour
nous arrêter vers 15 h 30 à trois milles au sud
de Pula dans un abri fermé par quelques îlots et
rochers affleurant à la surface. La pluie s'est mise
de la partie. Dommage car l'endroit est joli mais manque singulièrement
d'éclat par ce triste temps.
L'après-midi tire en longueur, nous lisons à l'abri.
Heureusement, le taud nous permet de laisser le bateau ouvert,
on se sent quand même moins confiné ! Un sms de
Blandine m'apprend que le temps n'est pas brillant non plus
à Mandre.
A l'heure du dîner, le vent souffle de plus en plus violemment,
le bateau tourne à toute vitesse sur l'ancre et le plat
de lentilles voltige par terre, se répandant sur la moquette.
Je n'ai plus qu'à tout ramasser et nettoyer. C'est la
deuxième fois que pareille mésaventure nous arrive
depuis le début des vacances à cause du vent.
Ça me met vraiment de bonne humeur !!! Sans compter que
le vent m'énerve prodigieusement et que j'en ai marre
d'être assise depuis ce matin, d'abord dans le cockpit,
puis sur la marche à l'intérieur à cause
de la pluie, et enfin depuis notre arrivée ici dans la
cabine puisqu'il pleuvait, ventait. Mon seul exercice a été
le ramassage des lentilles par terre. Génial !
Ses méfaits accomplis, le vent s'arrête de souffler,
je le déteste !
Comme si ça ne suffisait pas pour la journée,
une heure plus tard, la mer qui déferle sur les rochers
au ras de l'eau, commence à entrer dans le mouillage
et à rouler le bateau qui s'est mis en travers des vagues
puisque le vent agonisant ne le place plus face à elles.
Ça aussi, je déteste, c'est usant !
Par contre le ciel est constellé d'étoiles maintenant.
Mais la nuit dernière, il l'était aussi après
les orages et cela n'a pas empêché les nuages de
l'envahir de nouveau toute la journée.
Dimanche 15 août
Toute la nuit, les orages se sont succédés, éclairs,
tonnerres, grains violents, averses torrentielles. Eau douce
en abondance ! J'ai à peine fermé l'œil.
Le ciel s'était de nouveau assombri, plus d'étoiles,
rafales de vent et le bateau qui pivote à toute vitesse
sur l'ancre et sous les éclairs... Impressionnant ! Il
a fallu tout fermer malgré le taud parce que ça
pleuvait si fort, que l'eau passait dessous et puis c'était
plus rassurant d'être enfermés à l'intérieur
avec les éclairs si proches.
Après les abondantes pluies de la nuit, nous sortons
en mer un peu avant 10 heures. Très grosses vagues sur
le flanc, environ 2 mètres de creux, on est ballotté,
secoué, quelle galère ! Et ça va durer
jusqu'à Novigrad. On ne peut même pas manger, juste
se cramponner et attendre l'arrivée, plaqués sur
les sièges par la force de la mer hostile, bleu sombre,
celle qui ne donne pas envie de se baigner mais plutôt
de lui échapper. 38 milles dans ce chaudron... 48 heures
qu'on n'a pas mis pied à terre en y incluant une nuit
presque sans dormir.
Arrivés à Novigrad à
17 heures, nous grignotons un truc et nous nous reposons. Pas
le courage pour le moment d'aller nous balader dans la ville.
En fin de journée, nous descendons enfin du bateau. La
mer balaie la jetée, il faut calculer pour passer entre
deux vagues, sinon gare à la douche !
C'est sympa Novigrad... sans prétention, mais joliment
coloré... Maisons aux couleurs vives, petit port de pêche
enfermé dans la ville comme à Grado, ruelles animées.
Nous dînons en ville puis rentrons au bateau; la jetée
n'est plus arrosée, c'est déjà mieux !
On entend de la musique échappée d'un café,
à volume raisonnable, de la bonne musique comme j'aime,
électroacoustique... "Sweet home Chicago",
"Sweet home Alabama" et divers autres morceaux qu'a
joués Vince.
Lundi 16 août
Dernière étape... Novigrad-Grado. Nous partons
sous un gros nuage noir avec beaucoup de vent et des embruns,
mais le nuage évacué, le ciel devient bleu et
la mer s'assagit. Je n'aime pas ces longues vagues par le travers,
dont certaines atteignent encore un mètre, mais au moins
elles ne mouillent pas et elles ont perdu de leur force par
rapport à hier. Après la fatigue de l'étape
précédente, j'aurais aimé une mer toute
plate. Mais on ne peut pas choisir ! A midi, Dame Adriatique
est assez aimable pour nous permettre de déjeuner en
route. Grado est en vue. La mer est d'huile maintenant, sur
une grande houle qui atteint encore un mètre de creux
par endroits, mais de moins en moins souvent. Ces longues modulations
d'un gris fade, depuis que le soleil s'est voilé, enflent,
s'affaissent, serpentent autour de nous. Tout semble mou et
mouvant comme si la mer était épuisée de
sa violence écumante d'hier.
A l'approche de Grado, le paysage se réveille. De longues
vagues d'un mètre de haut nous poussent par l'arrière
dans une belle eau verte et sous un ciel bleu bordé de
gros cumulus.
Tout au bout du chenal nous touchons terre. Notre 406, la 407
d'Alain et les deux remorques attendent patiemment dans le chantier
le retour de leurs propriétaires respectifs.
Après avoir tout rangé, démonté
les voiles, enlevé la bôme et bricolé diverses
choses, nous couchons le mât. Avant le départ,
Alain était venu nous donner un coup de main pour le
démâtage à Saint Valery, mais là,
nous ne sommes que deux évidemment et nous utilisons
un chevalet et un croisillon comme d'habitude. Une fois le mât
bien ficelé, nous nous rendons en ville et dînons
dans une pizzeria après avoir fait quelques courses pour
la route du retour.
Mardi 17 août
Les derniers rangements... moquette de sol roulée...
cale vidée de son eau de condensation... réservoir
d'eau douce vidangé et séché... et Cap
Sounion s'élève doucement sous la grue. La coque
est impeccable, malgré six semaines dans l'eau, pas d'algues,
pas de coquillages. Le bateau se pose avec précaution
sur la remorque. Reste à l'arrimer solidement.
Un petit clin d'œil à la remorque
verte qui attend son Marafaniou samedi et on y va. Il est 11
heures.
L'autoroute nous promène entre les monts
élevés des Dolomites, beaux paysages alpins, rehaussés
par la verdure de la vallée qui serpente à ses
pieds, villages rustiques blottis au bas des versants, cascades
qui alimentent une rivière au lit pavé de gros
galets et presque à sec. Nous déjeunons au milieu
des montagnes.
La route de l'après-midi nous fait découvrir
entre Villach et Salzsburg, de grands paysages d'altitude, alpages,
chalets, châteaux perchés au sommet de pitons rocheux,
petits bourgs serrés autour d'un clocher... Autriche
verte et riante...
Nous faisons halte à Salzsburg,
ce n'est pas la première fois, c'est une ville agréable
où nous aimons nous arrêter. Le problème
c'est de stationner avec le bateau en remorque. Nous suivons
d'abord les pancartes "Allstadt Mitte Parking", qui
laissent présager qu'on se rapproche du centre, et arrivés
dans la ville, nous passons un des ponts, tournons à
gauche et nous éloignons suffisamment pour pouvoir garer
l'attelage le long d'un trottoir dans une rue peu fréquentée.
Une bonne marche d'environ 1,5 km nous ramène dans la
vieille ville. Il pleuviotte ! Nous parcourons la rue principale
chargée d'enseignes magnifiques pendues aux murs des
demeures construites pour la plupart au 15ème siècle
et rénovées au 20ème. Les dates de construction
et de rénovation figurent sur de nombreuses maisons.
Il en est même une qui affiche 1208. Ensuite, nous mangeons
une choucroute et un apfelstrudel maison avec glace vanille
et Chantilly, avant de repartir à pied le long du fleuve
pour récupérer la voiture. Nous dormirons un peu
plus tard, 50 km avant Munich.
Mercredi 18 août
Frisquet ce matin qui s'éveille avec une superbe vue
sur la montagne au loin. Cap Sounion domine toutes les voitures
garées sur le parking de l'autoroute et les regards se
tournent vers lui, particulièrement quand nous émergeons
de la cabine. La route nous reprend, il est 9 heures. Nous roulons
jusqu'à Compiègne où nous nous arrêtons
un peu avant minuit. Je termine mon 23ème livre, le rapport
de Brodeck (Ph. Claudel), un bouquin captivant et bien écrit
!
Jeudi 19 août
Comme hier, la nuit a été très froide à
bord. On n'a pris que des duvets d'été très
légers, j'ai donc amoncelé par dessus deux serviettes
de bain, une petite toile, mon jean, un grand gilet. C'était
à peine suffisant. Au lever, un coin de ciel bleu au
milieu du gris m'a convaincu de ranger le jean que j'avais revêtu
hier pour traverser l'Allemagne, et de remettre un short ! L'été
n'est quand même pas fini ! Non mais !
Et pendant ce temps-là, Alain, Blandine, les enfants
se dorent au soleil sur la plagette de Skrda au pied d'un barbecue
et pataugent avec Zaza dans l'eau si belle de la crique... Et
c'est alors qu'on apprend par sms, qu'elle sait nager finalement,
la finaude ! Aujourd'hui est leur dernier jour à Mandre.
Ils entament la remontée demain, ça ira plus vite
que nous... 115 chevaux contre 9,9... Le compte est vite fait
!
Ils nous raconteront la suite de leur périple quand on
se retrouvera en Normandie, où de notre côté
nous arrivons à midi.
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