Lundi 22
Rogoznica. Longue étape…
Partis à 10 heures, nous avons jeté l'ancre à
21 heures, les derniers milles ayant été parcourus
sous la lune scintillante. Nous l'avons vue se lever, estompée
par la brume, puis monter peu à peu, rousse d'abord,
plus claire ensuite, pour enfin éclairer d'argent la
surface de l'eau. Qu'elle était belle la lune, jetant
ses rayons dans la mer, jouant à cache-cache avec les
collines, tandis que nous poursuivions vers l'ouest un soleil
déjà couché mais qui avait laissé
son empreinte rougeoyante dans le ciel. Derrière le bateau,
la nuit s'étendait peu à peu, cherchant à
nous rattraper, le gris, puis le noir prenaient le pas sur la
couleur, tandis que Cap Sounion, l'étrave pointée
vers le ciel couleur d'incendie courait après le jour
finissant.
Maintenant, la lune au mouillage, veille sur notre sommeil,
lumineuse, elle nous baigne de sa douce clarté, c'est
une compagne amicale…
Mardi 23
Chaleur ! Chaleur ! Nous ne sommes bien qu'à l'ombre
du taud ou dans l'eau… Vincent commence à bien
barrer le bateau… Olivier pêche à la traîne…
Nous arrivons dans la sympathique bourgade de Primosten, où
nous faisons le plein de vivres, œufs, fromages, fruits,
conserves et d'eau (nous n'avions pas eu d'eau courante depuis
Zadar) pour l'étape à venir, vers les Kornati,
îles sauvages et désertes…
Mercredi 24
Mais le vent nous retient au port… Nous voilà à
regarder le ciel, le vent, l'anémomètre, les drapeaux
qui claquent… Ce soir la chanson du vent baisse d'un ton…
Nous espérons partir demain, car nous avons déjà
une journée de retard…
Jeudi 25
Retard rattrapé : deux étapes en une ! Dures,
dures les vacances !
Toute la nuit, le vent a soufflé, lancinant, angoissant.
Quand nous avons largué les amarres, les plaisanciers
nous ont regardé partir. 25 à 30 nœuds de
vent, mais heureusement au portant ! La voile au 2ème
ris, le bateau s'est bien comporté, il filait sur les
vagues aux crêtes blanches.
A la mi-journée, le Yougo, ce vent qui soufflait depuis
deux jours, s'est apaisé et il s'est mis à pleuvoir.
Dans l'après-midi, plus de vent du tout ! Mais sur tribord,
c'est presque l'obscurité, des rouleaux serrés,
compressés, se sont amassés dans le ciel en une
dangereuse ligne d'attaque : l'orage.
Dans les minutes qui suivent, le décor change. Le vent
se lève devant nous, les rafales cinglent la voile. Nous
voilà au près, à la gîte ! Un nouveau
train de vagues nées de l'orage va s'attaquer à
la houle du Yougo. Les vagues s'affrontent de face, créant
une mer chaotique, désordonnée, l'écume
brise, émeraude, blanche sur les îlots proches.
Au dessus de nous, une masse grise bien délimitée,
tout autour, un bandeau de ciel clair bien net. Nous passons
au largue pour ne plus affronter la mer et les rafales de plein
fouet. Le bateau est lavé, grandes gifles d'eau qui éliminent
la poussière oubliée de ci de là, décrassé
à l'eau de mer d'abord, puis rincé à l'eau
douce. Car voilà que les nuages vont déverser
sur nous des mètres cubes d'eau. De l'eau douce partout,
qui coule, qui ruisselle, qui nous inonde… Nous ne pouvons
même pas en profiter, elle s'écoule, se sauve,
s'infiltre dans les cirés, puis retourne à la
mer dont la surface est constellée de pointes d'argent,
les gouttes rebondissent, nous frappent, aplanissent les crêtes
écumeuses. Une sorte de gris brillant enveloppe tout
le paysage. Il fait sombre, mais les couleurs restent lumineuses.
Nous flottons sur une mer irréelle, qui roule, qui court,
qui se cogne aux îles caillouteuses que nous voyons maintenant
défiler sur les deux bords du bateau. Le déluge
dure jusqu'à 17 heures, mais la mer s'est calmée.
Les Kornati sont partout autour de nous, arides et pierreuses.
Nous jetons l'ancre à Zakanac… Ouf ! Qu'il fait
bon dans notre carré devant un café brûlant
et des croissants !
A 21 heures, nous grimpons tout en haut d'une colline, pour
découvrir un panorama grandiose, aux couleurs d'un soleil
couchant estompé par les nuages. A ce moment, très
loin, dans un grand silence, des éclairs illuminent le
ciel, nous laissant deviner tout un relief tourmenté
de nuages aux formes étranges.
Vendredi 26
8 heures : la nuit qui vient de s'éteindre, nous a offert
les Kornati sous un éclairage de pleine lune. L'ombre
et l'argent nous ont dessiné les collines dans le silence
retrouvé. Silence ? Ou plutôt calme… Paix
constituée de touches musicales, l'onde qui court sous
l'air frais, une poulie qui claque, un drapeau qui s'agite,
une vague qui meurt sur la grève…
Au matin, le soleil réapparu, caresse d'un rayon léger,
le havre tranquille où nous avons passé la nuit.
La pierraille dure, étrangement découpée,
se teinte de jaune lumineux au dessus d'une eau nettement dessinée.
A l'opposé, sur les versants encore dans l'ombre, on
devine estompés par une brume à peine visible,
leurs contours arrondis, généreux, dans un ciel
indéfinissable. L'eau qui reflète le soleil, n'a
pas de couleurs, elle n'est que brillance. Le bateau s'éveille,
bruits de voix, de pas, je ne suis plus seule levée !
Allons ! Au petit déj' !
Puis nous avons eu la visite de dauphins venus nous présenter
leur ballet nautique. A midi, baignade générale,
plongeons du bateau, dans une eau magnifique !
Tantôt, nous avons glissé sur un miroir : lente
traversée de l'archipel désertique ! Le bateau
bien à plat, on se serait cru au mouillage !
Ce soir, nous sommes sortis des Kornati, le soleil englouti
par la mer a jeté des traits de pinceaux roses et gris
dans le ciel, avec une nuance de jaune, avant que la lune, dans
la nuit devenue noire, ne surgisse soudain derrière un
nuage. Les dernières buttes des Kornati nous protègent,
renvoient l'écho de nos voix, et nous nous amusons avec
cet écho, tandis que le voilier sagement attaché
à son ancre reste parfaitement immobile. Au loin, on
entend les grillons…
Samedi 27
Très longue étape vers l'île de Dugi Otok,
à tirer des bords, vent debout… J'ai lu un bouquin
entier, douché les enfants avec des seaux d'eau de mer,
on a filmé; bref, on est toujours en mer, il est 19 h
30, cela fait 48 heures qu'on n'est pas descendu à terre.
Et on n'est pas encore à Veli Rat d'où nous devons
décoller demain matin de très bonne heure pour
traverser l'Adriatique. Autant dire qu'à l'heure où
on va arriver ce soir, on aura tout juste le temps de dégonfler
l'annexe, de la ranger et de repartir…
Nous décidons de changer de cap, et d'aller à
Bozava nous dégourdir les jambes, manger un plat yougoslave
une dernière fois, puis une fois tout rangé, nous
repartirons, doublerons Veli Rat, sans faire escale et mettrons
le cap directement sur Ancone en Italie. Nous devrions y être
dans une vingtaine d'heures, ce qui nous fera arriver à
la tombée du jour demain. Ce sera toujours mieux que
notre atterrissage à Pula en pleine nuit !
Et puis le vent n'est pas trop mauvais, le ciel est bleu, nous
aurons peut-être la lune avec nous cette nuit ?
Pour une fois, traverser de nuit sur mer calme !… Avec
les étoiles !… La lune !… Le bateau qui fend
l'eau en douceur !… Sans coup de vent !… On peut
rêver !…
Dommage cependant, de quitter ces îles d'un autre monde,
ce rythme soleil-lune qui réglait nos escales, cette
mer si sage, à l'abri de centaines d'îlots, les
pinèdes à l'odeur apaisante, les eaux limpides,
les rochers, les grillons dont le chœur emplit les baies,
les petits ports animés si différents des nôtres,
comme d'une autre époque, les mouillages forains, la
musique, les baignades en eau profonde, les spécialités
culinaires toutes ces cuissons au gril qui mettent l'eau à
la bouche, les longues files d'attente qui apprennent la patience
chez le boulanger, parce que le pain ici, c'est le Pain avec
un P majuscule…
Même le manque d'eau avait son charme : laver la vaisselle,
les cheveux, les enfants à l'eau de mer… Economiser
l'eau douce parce qu'il faut la porter et qu'il n'y en a nulle
part (à Dugi Otok, les habitants stockent l'eau de pluie),
cela fait aussi partie du dépaysement et cela rend plus
grande notre joie de trouver de l'eau douce… Nous mesurons
notre chance d'habiter dans un pays où elle n'est pas
comptée…
Mais voici que devant l'étrave apparaissent les premières
lumières de Bozava. J'arrête mon monologue, il
va falloir préparer les amarres pour descendre à
terre… dernière escale yougoslave…
Nous allons partir, mais nous reviendrons…
Dimanche 28
Nous sommes en Italie, après une longue route route de
69 milles…
Du 29 août au 4 septembre
Remontée le long de la côte italienne, sortie de
l'eau du voilier à Pesaro…Traversée de l'Italie,
du tunnel du Mont Blanc…Balade à la mer de glace
avec le train du Montenvers… Retour par le val d'Arly,
Promenade dans Annecy… Traversée de la France…
Dernière nuit à bord sur la remorque… Arrivée
à la maison…
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