Munich 1972
En
tente de camping
Ceci est un extrait de mon journal rédigé
sur papier
Dimanche 27 août
... Sur le chemin du retour de Grèce et après
avoir traversé en voiture toute la Yougoslavie, puis
l'Autriche, nous arrivons enfin à la frontière
allemande...
Depuis des heures, nous roulons, roulons, ciel limpide et bleu...
Nous voudrions atteindre l'Allemagne et ces routes en lacets
n'en finissent pas. Pas moyen d'avancer ! Il est tard, le soir,
quand nous atteignons la frontière... Et maintenant,
à nous la belle route ! En peu de temps, nous atteignons
Munich... Mais c'est en vain que nous cherchons un hôtel,
il ne nous reste plus qu'à dormir dans la voiture...
Après une étape de 1042 km...
lundi 28
A notre réveil, ce lundi, après un copieux petit
déjeuner dans un café proche, nous sommes d'attaque
pour chercher un camping. En effet nous avons décidé
de passer quelques jours à Munich pour visiter la ville,
il nous restera ensuite encore un peu de temps pour flâner
à Strasbourg.
C'est ainsi que, munis d'un plan acheté dans une librairie,
nous nous dirigeons à travers une ville magnifiquement
décorée vers un camping qui nous a paru attrayant.
Au fait, cette ville, pourquoi est-elle aussi décorée
? Pourquoi ces drapeaux de tous les pays ? Est-ce exceptionnel
ou habituel ? Nous le saurons bientôt... Pour l'instant,
il s'agit de planter la tente et de prendre une douche pour
nous rafraîchir les idées, puis d'aller faire quelques
emplettes au magasin du camping. Mais que de monde dans la salle
de télé attenante à la boutique ! Curieux
de voir quelle émission a un tel succès, nous
nous approchons... Sur l'écran, se déroulent des
épreuves sportives. A plusieurs reprises, dans les phrases
en allemand, nous comprenons le mot "Munich". Et soudain
la mémoire nous revient ! "Les jeux olympiques...
de Munich..." Notre magnifique voyage jusqu'en Grèce
nous les avait fait oublier. Et pourtant, tandis que nous parcourions
la Grèce, la flamme olympique avait quitté Athènes
et cheminé à bras d'hommes jusqu'à Munich.
L'après-midi, dotés d'un tas de renseignements
sur ces jeux, nous nous dirigeons vers la ville. Partout, des
flèches indiquent : "salle d'escrime... natation...
aviron... et divers autres sports... Où aller ? Que choisir
? Nous sommes un peu perdus.
Nous décidons de commencer par le plus gros morceau :
le stade ! Construire ce stade a dû être un travail
de Titan ! Et quelle organisation !
Notre appareil-photo n'a pas de répit ! De quelque côté
que l'on se tourne, il y a quelquechose à voir !
A 17 h 30, nous assistons au match de foot "Allemagne de
l'est- Ghana", un peu étonnés tout de même
de nous trouver dans ce stade immense, aux côtés
de gens de tous les pays. Sur notre gauche, brûle la flamme
olympique. Finalement, l'Allemagne l'emporte sur le Ghana.
mardi 29
Nous visitons la ville elle-même. Le quartier piéton,
Marienplatz, est très agréable pour la flânerie,
mais il y a quand même beaucoup de monde. Comme à
Venise, sur la place San Marco, les gens consomment diverses
boissons sur des tables installées dans la rue... Dans
les vitrines, des téléviseurs diffusent à
travers tout Munich, les épreuves des jeux...
Le soir-même, nous retournons aux alentours du stade,
et sans même nous en rendre compte, nous pénétrons
dans l'enceinte du village olympique... Nous ne sommes d'ailleurs
pas les seuls à être entrés, car quelques
groupes de jeunes - des françaises notamment - déambulent
dans les rues. Et puis il y a les athlètes de toutes
races que nous rencontrons et qui ne semblent pas nous voir.
Les immeubles ultra-modernes ont été répartis
entre les diverses délégations et nous essayons
de repérer les français. Ce n'est pas facile,
mais grâce aux plans situés dans les rues et à
tout un système de couleurs, nous y parvenons et nous
pouvons même bavarder avec un athlète français...
Puis nous entrons dans la salle de repos du village où
une dizaine de télévisions diffusent des épreuves.
Chacun va vers son sport favori, et peut regarder ses camarades
se mesurer avec les autres sportifs. Dans cette salle, où
sont entassés, garçons et filles de toutes nations,
nous ressentons l'impression d'une immense fraternité,
d'une grande paix... Qu'importent les couleurs, les races, le
sexe, la discipline sportive, ici tous sont assis par terre,
à même le sol, appuyés les uns sur les autres,
et nous parmi eux...
En sortant de cette salle, nous traversons plusieurs salons...
Dans un coin, un sportif essaie de troquer quelque objet de
son pays contre je ne sais quoi, et beaucoup se pressent autour
de lui. De nombreux échanges semblent avoir lieu par
ici... Ce village est une véritable ville avec tous les
magasins possibles... Un peu à l'écart, des athlètes
jouent aux boules dans la rue, bavardent, prennent le café
où se promènent comme nous dans les ruelles. Quelle
émotion à chaque fois que nous croisons un jeune
au survêtement orné du coq français !...
Des français, certes, mais tant d'autres nations représentées
ici... Nous avons l'impression d'une véritable communion.
Nous emporterons un souvenir inoubliable de ce monde fraternel...
Et pourtant, tandis que je m'abîme
dans ces souvenirs qui se déroulent comme un
film, en surimpression viennent s'imposer d'autres images...
terribles... terrifiantes ! Ce village de paix entrevu
le 29 août, va connaître dans les premiers
jours de septembre, un drame affreux, alors que nous
sommes déjà rentrés chez nous en
France. Ce drame, chacun le connaît, tous ces
morts, tout ce sang, toute cette tristesse qui ont soudain
accablé le village olympique en même temps
que le monde entier, cet odieux attentat, abominable
crime contre le sport et les hommes, dans un endroit
qui semblait protégé de la cruauté
du monde... Pourquoi ?... Pourquoi ?...
Mais ce mardi 29 août, nous ne pouvons imaginer
ce qui se passera quelques jours plus tard et c'est
le coeur léger que nous franchissons l'enceinte
du village.[Note du 18/04/73] |
mercredi 30
Nous assistons à une séance d'entraînement
d'aviron, non loin de Dachau... Le camp de concentration n'a
pas été rasé, sans doute pour en conserver
la mémoire... C'est ainsi que nous découvrons
toute l'horreur de cet endroit... Inutile de parler des bâtiments,
des fours crématoires, des cheminées et des morts...
Tout le monde sait à quoi s'en tenir. Mais ce jeune athlète
qui porte l'écusson des jeux olympiques et qui s'est
arrêté devant la chapelle dédiée
aux juifs, a-t-il le droit d'espérer que ce massacre
fait partie du passé ?... Il porte l'étoile jaune...
Il pense à quoi ?... à qui ?... Qu'est-il devenu
?...Est-il mort lui aussi en même temps que ses camarades
israéliens, le jour du drame fatal de Munich ?
Le soir, après avoir rejoint la ville en liesse, nous
avons envie de voir la finale d'escrime dans laquelle un français
- Jean Noël Augier - est engagé. Les places sont
chères. Mais une revente de billets à demi-tarif
nous permet d'y assister. Et le français obtient la médaille
de bronze ! Il est déjà tard quand nous quittons
la salle d'escrime, pourtant nous avons décidé
de quitter Munich cette nuit-même, en direction de Strasbourg,
afin de passer là-bas une journée de plus...
Grand Quevilly, le 18 avril 1973
LES
FAITS
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