Nous bavardons avec Dung tout au long du voyage.
Il nous explique qu'un bouddhiste qui veut se marier avec une
catholique doit suivre six mois de catéchisme et passer
un examen et que s'il le rate, il devra attendre trois mois
pour le repasser. Il explique aussi que si on se marie à
la cathédrale, le mariage coûtera trois fois plus
cher qu'à l'église de village.
Lui-même est bouddhiste marié à une catholique
et avec à demeure une belle-mère catholique et
ses deux filles, car la coutume veut que plusieurs générations
cohabitent. Quand il ne travaille pas, il accompagne sa famille
à l'église le dimanche matin à 7 heures
avec sa femme et ses deux filles sur la moto et sa belle-mère
qui suit à pied derrière. Les catholiques d'ici
sont très fervents et certains peuvent aller à
la messe deux fois par semaine et forcément à
la messe de minuit qui dure 90 minutes.
Sur la route, nous voyons tour à tour dans un même
village, une église catholique, un temple de Cao Dai,
une église protestante et une pagode. Les canaux sont
bordés de maisons sur pilotis comme au Cambodge, nous
traversons de nombreux ponts, car l'eau est partout. Les paysans
se déplacent en barque. Enterrements et mariages ont
lieu en bateau. Dans cette région, la terre ne domine
la mer que d'un mètre; septembre et octobre sont les
mois des inondations, accrues par les barrages des Chinois qui
retiennent l'eau sur le Mékong en été et
lâchent tout ensuite, provoquant un surplus d'eau.
Nous arrivons à Cai Bè et embarquons sur un bateau
qui va nous conduire au Bassac, ancré un peu plus loin
sur le fleuve. C'est un autre monde, un autre temps, bateaux
anciens, maisons pieds dans l'eau... Dépaysement total
! Nous sommes seize touristes à bord, l'équipage
et les guides.
Nous dépassons le marché flottant de Cai Bè.
Sur les bateaux, se dresse un mât en haut duquel on accroche
les produits vendus à bord.

Voici le Bassac, notre cabine est à
l'étage, toute en bois, ravissante. Dans le bateau, on
dispose d'un salon intérieur, d'une terrasse couverte,
où sont disposées les tables pour les repas et
d'une plage avant équipée de transats.
Bateaux lourdement chargés de marchandises, avec deux
yeux peints sur l'étrave pour éloigner, à
l'origine les crocodiles, maintenant les mauvais esprits, barques
longues et effilées et Vietnamiennes en chapeaux pointus
défilent de part et d'autre du Bassac. Un peu d'air tempère
la chaleur. Quelle paix !
Nonchalamment installés sur les relax du pont, nous regardons
filer les eaux du fleuve mythique... On voit quelquefois avec
envie, dans les films sur l'Indochine, ces vieux bateaux aux
coursives sombres, qui font rêver d'un ailleurs, dans
lequel nous baignons aujourd'hui avec quiétude.
Vers 13 heures, nous dînons sur le pont; à l'approche
d'un village, le passage de bateaux s'intensifie, palmes de
bambous, bananes, caisses, briques, sable. A l'arrière
sous le roof, on voit souvent quelqu'un étendu dans un
hamac et parfois quelques canards sur le pont.
Après déjeuner la navigation continue sur le Mékong
aux eaux brun-jaune, il fait chaud. Assis sur les transats,
nous admirons le paysage. Nous longeons un village où
on produit des briques, dans de hauts fours au sommet ovale.
Les gens portent le sable dans les paniers suspendus aux palanches,
d'autres chargent les bateaux de briques rouges. Ici, la vie
poursuit son cours, comme autrefois, à l'écart
de la course au progrès qui agite le reste du Vietnam.
Le fleuve aux eaux brunes nourrit une mosaïque de rizières,
d'étangs, de vergers. Le soleil tape fort maintenant
et nous nous abritons sous l'auvent de la cabine de pilotage.
Ensuite, nous doublons une zone de pisciculture et calmement
notre bateau poursuit sa route. Les enfants, les gens parfois,
nous saluent de la main, en souriant. Les villages pieds dans
l'eau, alignent maisons et commerces sur le fleuve. Le Mékong
est large maintenant et moins fréquenté. Des coqs
chantent sous la verdure, il est 15 heures, nous avançons
dans le calme complet.
Une heure plus tard, débarquement.. Nous grimpons dans
un sampan (longue barque effilée) qui roule sérieusement.
Gilets de sauvetage obligé ! Nous abordons plus loin,
dans un bras étroit bordé de cocotiers d'eau,
bambous, bananiers et autres ananas, pamplemousses chinois,
longaniers, citronnelle (qui éloigne moustiques et serpents).
Dung explique qu'autrefois, on emballait tout dans des feuilles
de bananiers, mais qu'aujourd'hui le plastique étant
trop utilisé, on commence, comme en France à ne
plus distribuer de sacs dans les magasins.

Descendus dans un endroit magique, par sa
variété de fruits, nous froissons entre nos doigts
les longues feuilles effilées de citronnelle, les feuilles
de citronnier vert, dégageant des senteurs incomparables.
Le fruit du cocotier d'eau a une drôle de forme et se
mange aussi. Nous marchons au bord d'une rizière merveilleusement
verte dans laquelle travaillent les chapeaux pointus. De nous
voir les photographier, les fait rire aux éclats. On
voit encore des kapokiers, dont le kapok fournit la laine pour
les matelas, des femmes qui repiquent le riz avec de l'eau jusqu'aux
chevilles. L'eau du Mékong est partout autour de nous,
amenée par les canaux d'irrigation. De jeunes enfants
surgissent, tout beaux, et traversent les plans d'eau à
l'aide de planches étroites, jetées d'un bord
sur l'autre. De longues barques en bois stationnent près
d'embarcadères enfouis sous la verdure.
Le riz flottant
Dans certaines régions, on sème du riz flottant
qui monte et descend selon le niveau de l'eau et qui se
récolte en quatre mois et demi au lieu de trois
mois normalement. Ce riz flottant qu'on appelle aussi
riz fantôme est de moins en moins cultivé
car plus long à pousser. |
Petite halte dans le verger, pour déguster
ananas, bananes, pamplemousses chinois, crêpes de sésame
et bonbons de bananes, faits d'une sorte de caramel avec des
morceaux de bananes séchées, à peine épicé.
C'est excellent ! Les Vietnamiens savourent les fruits relevés
d'un peu de sel. Nous essayons ! Bof !
De retour à bord, nous reprenons le fil du Mékong
dans la douceur du crépuscule. A la nuit tombée,
dehors sur les transats, on ne peut rêver d'une température
plus idéale, ni chaud, ni frais, juste bien comme des
poissons dans l'eau. Nous sommes seuls sur le pont arrière
et nous apprécions le calme du soir. Qui n'a pas goûté,
en séjournant au Vietnam, la saveur d'une croisière
sur le Mékong et le plaisir de glisser dans la nuit chaude,
a manqué quelque chose... un inoubliable moment.
Sur le pont, Dung nous rejoint, nous bavardons et étonnamment
il connaît le Toum Thiou qui remonte le Mékong
de Pnomh Pen à Siem Reap et qu'on aurait pris, lors de
notre voyage au Cambodge, s'il avait été fini
de construire. Il nous raconte quelques histoires de grèves
en France qui l'ont bloqué avec des touristes vietnamiens.
Vient ensuite le dîner, au cours duquel nous avons l'occasion
de discuter avec deux couples Franco-Canadiens, échangeant
des propos sur nos voyages respectifs.
Le Bassac a jeté l'ancre. Nous gagnons nos cabines vers
21h30. Demain à 5h30, le bateau démarre.
Dimanche 5 décembre
A 6 heures du matin, nous voici sur le pont du Bassac à
regarder défiler sur bâbord un marché flottant
très matinal. Les gens en barque s'approchent des gros
bateaux marchands chargés de pommes de terre, choux,
ananas, pastèques et font leurs achats. Un bac surchargé
traverse le fleuve. Nous restons ensuite sur les transats jusqu'à
ce que la cloche tintinnabule vers 7h30 pour appeler au petit
déjeuner.
Une heure après, nous débarquons à Can
Tho, ville la plus importante du delta, pour la visite en barque
du marché flottant de Cai Rang, situé un peu plus
loin sur le fleuve.
On retrouve ici le type d'habitat des villages lacustres du
lac Tonle Sap au Cambodge, habitat rudimentaire et délabré
sur pilotis. Nous nous glissons au milieu des bateaux chargés
de fruits et légumes, saisissant au vol des scènes
de vie, pastèques qui bondissent de mains en mains, chapeaux
pointus qui font leurs emplettes, enfants qui nous saluent,
femmes qui cuisinent dans de grandes marmites à bord
de leurs barques. Etonnantes scènes inattendues, qu'il
faut saisir à la volée, car elles s'effacent,
vite remplacées par d'autres.
Le mensonge
La presse au Vietnam n'est pas encore totalement libre,
l'état communiste pendant 30 ans a laissé
croire qu'Hô CHi Minh était mort le 3 septembre
1969 au lieu du 2 septembre qui était la fête
nationale et la date anniversaire de la proclamation de
l'indépendance par Hô Chi Minh lui-même.
Ce mensonge est grave pour la population qui consacre
un culte aux ancêtres, exactement le jour de leur
mort. La vérité aurait été
rétablie peu avant 2000, grâce à un
journaliste qui a été poursuivi par l'état
ensuite. |
Nous retournons avec le petit bateau à
Can Tho, où nous retrouvons notre chauffeur.
Sur la route qui mène à Mytho, , un immense pont
enjambe plusieurs bras du Mékong, montant et descendant
en fonction des îles sur lesquelles il se pose. Les rizières
en vert vif, s'étalent de chaque côté de
la chaussée, entre les multiples branches du Mékong
bordées de maisons sur pilotis.
Nous traversons My Long au centre de laquelle trônent
de jolis dragons en buissons sculptés. Un second long
pont suspendu construit par les Australiens, franchit d'immenses
étendues d'eau. Tous les villages traversés ont
leur marché animé et coloré. Le long de
l'autoroute même, des étals débordent de
fruits. Les rues et les rivières grouillent de vie, c'est
un spectacle permanent. Dans la campagne, on distingue un fouillis
de palmiers, de fruitiers, de fleurs, d'innombrables espèces
et partout des hamacs à l'ombre des terrasses de café
et chez les gens. Dans les petites villes, les magasins ouvrent
directement sur les rues, serrés côte à
côte, vagues appentis en tôle ou en dur, prolongés
par des auvents de toile poussiéreuse. Nous arrivons
à Mytho, où nous déjeunons à midi
et où se trouve aussi notre hôtel pour ce soir.

Dung nous demande si on connaît la différence
entre un Chinois et un Vietnamien. Non bien sûr !
Il faut les mettre dans l'eau, le Vietnamien nage et le Chinois
coule... parce que ses bras font la brasse vers l'intérieur,
pour ramasser tout ce qu'il trouve !!!
Nous entrons dans la pagode de Mytho, avec son Bouddha du passé,
du présent et de l'avenir. Cette pagode, imprégnée
d'encens, mélange d'architecture chinoise, vietnamienne,
coloniale, respire la paix comme les autres. A l'intérieur,
trône un grand portrait d'Hô Chi Minh, en effet
depuis la réunification du Vietnam, obligation est faite
d'arborer cette figure dans les temples et pagodes.
Le bouddhisme
Le bouddhisme du Petit Véhicule est le plus pur,
c'est celui du Sri Lanka, de la Birmanie, du Laos et du
Cambodge.
Dans cette forme de bouddhisme, chacun prie pour soi-même.
Les bonzes sont obligés de passer quelques années
à la pagode selon le souhait des familles, mais
ensuite ils peuvent en sortir. Il y a beaucoup d'interdits,
de prières, de contraintes.
Le bouddhisme du Grand Véhicule vient du Nord,
Chine, Japon, Corée. Dans cette autre forme du
bouddhisme, personne n'est obligé de faire une
période à la pagode, mais celui qui fait
ce choix y reste toute sa vie.
Les gens, tournés vers le futur, ne ressassent
pas ce qui s'est passé avant, ils oublient et prient
pour eux et pour les autres.
Le "Boddhist Sahhva" a déjà échappé
aux réincarnations mais il reste sur terre pour
aider les autres à atteindre le Nirvâna.
Les pagodes ont un toit en forme de bateau couvert de
tuiles Yin Yang, pour faciliter la montée de tout
le monde au Nirvâna, ainsi que deux dragons (bon
et méchant, c'est à dire Yin et Yang).
On rencontre dans le Grand Véhicule, trois Bouddhas,
celui du passé, du présent, de l'avenir...
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A l'hôtel Chuong Duong dont le balcon
donne sur un bras du Mekong, nous déposons nos valises
avant de retourner nous promener librement à pied dans
Mytho. Marché central, canaux, femmes fabriquant des
filets et beaucoup de "Hello" enjoués de la
part des gens que nous croisons. Longue balade dans cette ville
sans touristes... donc sans véritablement d'hôtels,
le meilleur étant le nôtre, un hôtel spartiate
de l'état, avec quelque air de bâtiment soviétique,
mais pas si mal que ça finalement !
De retour dans la chambre, nous bouquinons. Bientôt la
nuit chaude tombe. Du premier étage, nous dominons l'eau
qui clapote sous notre balcon.
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